Tous propagandistes : créer l’inondation.

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Structurellement, Internet, dans sa structure, est une représentation typique de la société neolibérale : organisation décentralisée, très résiliente mais également très faible vis à vis des tentatives d’hégémonie, que ce soit au niveau commercial (google, facebook & co) ou au niveau des paroles portées sur le réseau (extrême droite, dépolitisation, « fait-diversisme »).

Dans ce genre de structure interactionnelle, deux types de capitaux non financiers sont fondamentaux : le temps, et les compétences d’utilisation. L’apport du capital financier est ici d’acheter du temps et des compétences pour produire (= embaucher des techniciens, que ce soit des ingénieurs ou des spécialistes du marketing) sa présence en ligne.

Sans capital financier, nous pouvons néanmoins avoir une action sur la parole portée sur le réseau, par l’inondation, autrement dit ce que les vieux briscards du web connaissent sous le nom de « flood ».

Le flood, c’est l’occupation systématique et forcenée du terrain, Internet devant être vu ici comme un espace : il a une géographie (les différents « lieux » de réseaux sociaux et sites internet) et une temporalité (nos timelines, flux d’actualité toujours renouvelés progressivement transformés en archive). Il a même une histoire, à laquelle on peut accéder grâce aux moteurs de recherche, d’une certaine façon.

Ami militant, voici ton nouveau meilleur copain. Avec lui, tu pourras filmer des manifs, les photographier, les relater en direct, informer sur la répression, relayer des infos et des analyses en 3 geste du pouce.

Tous producteurs de contenu, tous relais

Le mot même de « flood » ou d’inondation porte son propre programme. Il s’agit d’occuper le terrain par tous les moyens possibles, collectivement (cf mon précédent article sur les medias) et individuellement. Concrètement, cela signifie produire du contenu militant dès que l’opportunité se présente, et relayer du contenu militant autant que possible, dans la limite toutefois de l’audience que l’on a. On ne diffusera pas de la même façon sur un compte twitter spécifiquement militant, sur un blog ou sur une page facebook personnelle.

Toutefois, il s’agit d’une habitude à prendre : partout ou on souhaite émettre une opinion, il faut penser à rendre cette expression militante : y ajouter une source, remettre en contexte, verser dans la caricature, la blague ou le troll… L’unique objectif : que l’opinion de gauche ne passe pas inaperçue.

Certains objecteront que créer des contenus c’est compliqué. C’est à la fois vrai et faux. Ecrire un article de blog c’est compliqué, mais commenter une publication facebook ne l’est pas. Faire une vidéo politique ou un reportage c’est compliqué, mais envoyer des instagram depuis les manifs ou les actions militantes ou l’on se trouve, c’est facile. Et ainsi de suite, la seule limite c’est l’imagination et le temps de chacun.

Apprendre à utiliser les outils

Bien entendu, ce dont je parle nécessite un certain nombre de compétences, mais ce n’est pas une limite, pour deux raisons :

  • Certaines compétences sont communes à la plupart des utilisateurs d’Internet
  • Les autres peuvent s’apprendre gratuitement pour une grande partie, avec du temps et de l’envie

Pour devenir vraiment efficaces collectivement, il faudra prendre en compte ces compétences et se former massivement aux outils simples mais incontournables que sont la création d’un blog, l’utilisation de youtube, instagram, facebook, twitter et autres services utiles. La formation aux outils inclue aussi une formation aux pratiques sociales qui y sont liées, car l’impact ne sera réel que si la parole que nous voulons porter passe pour naturelle et non forcée ou faite d’éléments de langage.

Mais ne pas être lourdingues, admettre la conversation

Le compte de Besanscenot (géré par le porte parolat NPA) n'est PAS un bon exemple.

Le compte de Besanscenot (géré par le porte parolat NPA) n’est PAS un bon exemple. Qui voudrait écouter un robot ?

Cela m’amène vers un dernier point, peut-être le plus important : ne pas être exogène, ne pas passer pour un militant chiant, mais bel et bien montrer que les valeurs et les options politiques que nous incarnons émanent naturellement dans tous nos discours et nos pratiques. C’est là un gros effort à faire pour chacun, de déterminer quand il faut ou quand il ne faut pas faire du militantisme explicite. Quand il est possible de convaincre des gens dans une conversation, quand il faut prendre plus de temps. Tout cela relève d’une habitude de pratique qu’il faut atteindre, au risque de se faire blacklister comme militant pas drôle, ce qui anéantirait la portée de ce qu’on poste.

Admettre la conversation, c’est aussi ne pas hésiter à créer du collectif parmi ses connaissances et ses amis autour de conversations ou de mini projets, la capacité à faire venir des gens sur notre terrain idéologique par ce biais est souvent sous-estimée. Demander un coup de main à un ami pour relire un texte ou peaufiner une image ou une blague peut, par petites touches, l’amener à s’impliquer et à devenir un relais à son tour. L’effet de réseau typique d’Internet peut ici jouer à plein pour développer l’audience de nos options politiques.

Au delà : le flood artificiel et l’industrie du commentaire

Toutefois, cette étape du flood manuel ou authentique n’est qu’une partie du contrôle du terrain. Partie indispensable car permettant de réellement toucher les personnes avec lesquelles on interagit, mais insuffisante en termes de volume. Or, le volume est une clé de succès dans toute entreprise de propagande en ligne, car il asseoit la légitimité du propos auprès des outils (recherche google, timeline facebook…) et crée également un effet d’opinion dont les journalistes et les medias mainstream vont ensuite tenir compte. C’est la méthode précisément employée par l’extrême droite pour faire croire qu’elle détient une large hégémonie politique dans l’opinion. Les sondages à 98% de votes racistes ou sarkozystes tiennent de cette industrie du flood. Les commentaires des sites d’info en ligne également.

Il nous faudra également travailler sur de tels outils, avec les camarades informaticiens, pour fournir ces outils automatisés aux militants moins calés sur la technique.

Au boulot !

Reconquérir le web : Reconstruire nos médias

Par défaut

On l’a vu dans les deux articles précédents, Internet, loin d’être un espace plat et complètement ouvert, est un espace public dans lequel il y a des techniques de propagande à l’oeuvre. Elles ne sont pas nécessairement très coûteuses monétairement, mais elles nécessitent un investissement en temps et en compétences non négligeable. Les racistes de tous poils (que ce soit sous la bannière de Soral, Dieudonné ou fdesouche) mettent à l’oeuvre de telles techniques depuis bientôt plus d’une dizaine d’années.

Nous avons un grand retard en la matière, et il est grand temps de le combler. Deux facettes et deux temps composent le chemin que nous avons à parcourir : Recréer nos médias, à un niveau collectif et adapté à l’époque, permettra ensuite une meilleure action individuelle de chacun dans son militantisme (ne serait-ce qu’envers ses connaissances).

Internet est un terrain de militantisme

Distribuer un tract sur facebook ? Pas évident.

Militer « dehors », la gauche sait le faire depuis un siècle et demi : tracts, affiches, journaux, manifestations, blocages, actions coup-de-poing, trouver les gens à la sortie des usines, faire de l’agit-prop…

En revanche, elle n’a jamais achevé sa prise de conscience de la critique des medias, aboutissant à un rejet quasiment épidermique de l’audiovisuel et, par la suite, d’Internet, au lieu de pousser la question jusqu’au stade suivant : comment faire avec les medias devenus incontournables ?

Certes, le principe d’un média est d’éditorialiser, et donc d’une certaine façon de censurer. On sait aussi depuis les situationnistes et plus récemment Chomsky et Bourdieu que les médias sont à la solde du capital de façon structurelle et déformeront toujours nos propos. Certains en ont tiré la conclusion hâtive qu’il fallait rester hors du champ des médias. Si cela était déjà discutable pendant le règne de la télévision, cela devient complètement aberrant à l’ère d’Internet, pour une raison structurelle toute simple : Internet, en tant qu’espace de communication multidimensionnel (plat entre site, profond dans l’organisation temporelle des réseaux sociaux), donne l’opportunité de recréer nos propres médias.

Recréer nos propres médias, avec un budget très faible par rapport aux autres médias ET par rapport à l’audience potentielle. Cela permet de contourner la limitation fondamentale des médias dominants : la nécessité du capital pour lancer un journal ou une chaîne de télévision.

Que Faire ?

Maintenant qu’il est établi que nous ne pouvons pas faire l’impasse du militantisme en ligne, que faire ? Il existe une variété énorme d’actions possibles, individuellement et collectivement. Un premier élément fondamental, la pierre angulaire, c’est de recréer nos médias, sur une base large. A l’extrême droite, deux acteurs dominent : fdesouche et Egalité & Réconciliation. Ces deux sites, extrêmement visités, cherchent à rassembler leur camp par delà les petits clivages, en recentrant sur des valeurs simples et fédératrices de leur bord politique.

A gauche, qu’avons-nous ? Nous avons l’Humanité, dont la version en ligne est déplorable. Nous avons quelques bons sites de presse (streetpress, Basta), mais rien de profondément militant et fédérateur. La propagande contre nos idées est telle que nous ne pouvons pas nous contenter de l’exposition des faits par les journaux : il faut industrialiser notre information, compiler les faits qui nous donnent raison, exposer en permanence NOS thèses sur l’actualité et la ramener aux problèmes structurels du capitalisme. Cela peut sembler vain, mais c’est cette constance qui a permis aux idées frontistes de ré-émerger dans le débat public. Ils ont mis 10, 20 ans pour y arriver, à force de tout ramener aux étrangers ou à la faiblesse du pouvoir. A nous de tout ramener aux structures du capitalisme, aux inégalités, au rapport salarial, et de le faire tout le temps, de faire masse. Allez faire un tour sur fdesouche, vous serez frappés par l’impression de cohérence qui se dégage de cette masse d’informations diverses relayées en permanence.

Recréer des médias de gauche actifs et non affiliés à une organisation permet de donner une base arrière au militantisme en ligne : fourniture d’infos, point de ralliement symbolique, organisation de campagnes de propagande… Tout cela demande du temps et des compétences, mais nous les avons ! Il faut simplement sortir de nos réflexes de division et d’impuissance pour s’y mettre.

Il existe un grand nombre de blogs de gauche actifs, individuels, certains collectifs, mais chacun dans leur coin, peu actifs, face au torrents continus d’informations déversés par la « réinformation » fasciste. Nous devons nous fédérer et passer à la même échelle industrielle si nous voulons reprendre pied.

Mon propos n’est pas de cracher sur les blogs individuels, beaucoup sont de grande qualité et leurs auteurs des gens précieux, mais la force de la gauche n’est-elle pas de montrer que la mutualisation est plus forte que le capital ? Le dire en slogans c’est une bonne chose, l’appliquer au delà de nos chapelles, c’est bien mieux.

Comment faire ?

Analyser et utiliser les formes de communication les plus efficaces

Nous avons, en tant que militants d’une gauche qui a toujours voulu s’associer à la science pour le progrès, tendance à penser que la raison vainc les affects. L’hégémonie culturelle néolibérale nous démontre chaque jour le contraire. Dans ce cas, nous ne devons avoir AUCUN scrupule à utiliser les affects pour faire passer notre message central et nos valeurs.

Concrètement, cela signifie que si faire passer un message nécessite de faire une vidéo sur youtube plutôt qu’un texte, alors il faut faire une vidéo. Et aucune objection ne sera acceptée. Les questions sont simples : comment s’adresser à ceux que nous visons de la manière la plus efficace possible ? Une bonne partie de la jeunesse ne lit plus, et la légitimité « assertive » tient maintenant plus dans l’image que dans le texte. Alors utilisons l’image ! Cela est valable également pour d’autres formes de communication : graphiques, caricatures, invectives, trolling, polémique… Avons-nous les moyens de faire la fine bouche ? Non.

Mutualiser les compétences et le temps

La presse mainstream et les groupes réactionnaires ont des apports en capitaux importants pour faire tourner leurs médias. Ces capitaux servent essentiellement à payer des gens, que ce soit ouvertement, comme Dassault et le Figaro, ou de façon plus discrète entre les partis d’extrême droite et l’équipe centrale de fdesouche.

De cet état de fait, il y a deux conclusions à tirer :

  • la première, c’est qu’ils ont plus de moyens que nous, et que cela rendra la tâche ardue.
  • la seconde, c’est que nous avons des compétences et du temps mobilisables sans capital, et que l’apport du capital en termes de machines ou autres moyens techniques est très faible quand on parle de création en ligne.

C’est là que la mutualisation prend tout son sens. Dans un monde idéal, cette mutualisation serait le fruit des organisations politiques et syndicales, au delà des chapelles et du journal interne. Hélas, ce n’est pas le cas. Il nous faut donc agir en dehors de ces organisations, mais collectivement.

Pourquoi perdre du temps à chacun maintenir notre blog ? Si un camarade informaticien souhaite le faire, alors créons une plateforme en commun et que chacun y trouve sa place : les écrivains écriront plus, les techniciens trouveront des services à rendre pour améliorer l’outil, les acharnés des réseaux sociaux feront de la diffusion… Chacun pourra se rendre utile en y investissant moins d’énergie que s’il était seul, et par là nous pourrons en faire plus, avec peu de moyens.

Se débarrasser des cicatrices encombrantes

Dans cette entreprise de refondation, il y a un dernier point qui me tient à coeur : nous sommes au XXIe siècle. A ce titre, même si les analyses marxistes sont toujours cruellement d’actualité, nous devrions sérieusement songer à sortir de nos habitudes en termes de parole et de communication, et en particulier à nous débarrasser de nos cicatrices. Nous devons assumer l’héritage du mouvement ouvrier, mais sans tomber dans le folklore. Comme on le dit en anthropologie, une culture qui se fige en folklore meurt. Alors ne nous figeons pas. Trouvons les mots qui correspondent à l’époque pour parler à tous et à la variété des situations. Si une couleur, un logo ou un terme fait détourner le regard aux gens que l’on aimerait convaincre, laissons-le de côté plutôt que d’accuser l’époque ou la bêtise des gens ! Le libéralisme, le fascisme n’ont pas hésité à se travestir pour s’imposer, alors mettre un peu de maquillage sur notre propagande ne fera de mal à personne.